Articles Wednesday, October 6, 2021
Un projet de loi humaniste et novateur
By Marie-Hélène Paradis
Le Curateur public du Québec est un organisme gouvernemental qui place la personne inapte et le respect de ses droits au cœur de ses interventions. Le rôle de l’organisation a évolué depuis sa fondation en 1945, mais un virage législatif innovant est maintenant à l’ordre du jour.
La nouvelle loi modifiera le Code civil, le Code de procédure civile et la Loi sur le Curateur public et diverses dispositions en matière de protection des personnes dont les différentes dispositions législatives relatives à la protection des personnes inaptes.
En juin 2022, les lois encadrant le Curateur public seront mises à jour de façon à mettre l’accent sur l’humain et à favoriser son autonomie. Il s’agit de changer les perceptions et de valoriser les capacités des personnes plutôt que de miser sur leurs limitations, et ce, qu’il s’agisse de personnes en perte d’autonomie ou de personnes atteintes de maladies mentales, de maladies dégénératives, de déficience intellectuelle, de traumatismes crâniens ou d’autisme.
Les consultations préparatoires
Dès le début des travaux, le Curateur public a consulté les groupes communautaires, les ordres professionnels, les ministères et les autres intervenants afin d’obtenir leur accord avec les nouvelles mesures envisagées et s’assurer que celles-ci sont applicables et efficaces. « Tout a été bâti avec tout le monde tout au long du processus législatif. Depuis l’adoption du projet de loi, les trois comités consultatifs sont toujours vivants. Nous travaillons maintenant avec eux pour le déploiement des différentes mesures. Le Barreau du Québec et la Chambre des notaires ont travaillé de concert avec nous pour rédiger le règlement d’accréditation permettant à leurs membres d’aider leurs clients à recevoir la mesure d’assistance », a confirmé le curateur public, Me Denis Marsolais.
Deux grands défis ont alimenté les préoccupations du Curateur public. Me Marsolais affirme que, d’abord, « la communication est au centre de la réussite d’un tel changement. Le grand nombre d’intervenants et de citoyens touchés par ces mesures et à qui il faut communiquer l’information demeure un enjeu important. La gestion du changement chez les partenaires comme les banques, les ministères, les organismes est une autre préoccupation. Ceux-ci doivent être au courant que les demandes d’information des assistants sont légitimes. »
Trois principaux changements à prévoir
Les dispositifs de protection seront mieux adaptés à chaque personne et respecteront l’autonomie et les aptitudes de chacun. Le premier et le plus innovant de ces changements donnera à une personne dont l’aptitude peut être constatée mais ayant besoin d’aide pour prendre des décisions la possibilité de se choisir un assistant, accrédité par le Curateur public et désigné comme « l’assistant au majeur ». Deux critères sont exigés pour avoir accès à cette assistance : il faut comprendre la portée de la mesure et être capable d’exprimer ses volontés et ses préférences. Les assistants doivent eux aussi répondre à certains critères : être majeurs ou pleinement émancipés, être capable d’exercer ses droits civiques et démontrer un intérêt particulier pour la personne qui souhaite être assistée. Cette démarche de demande d’assistance permettra à l’assistant de prêter main-forte à la personne qui en a fait la demande. Il aura une légitimité par rapport aux différents intervenants, comme le médecin ou encore Revenu Québec; il aura le droit de poser des questions mais ne prendra pas les décisions. Il pourra conseiller la personne assistée, agir comme intermédiaire, communiquer avec des tiers, accéder aux renseignements personnels de la personne assistée. Il est important de spécifier que la personne assistée conserve la totalité de ses droits.
La deuxième mesure qu’il convient de souligner est l’abolition de la curatelle. Celle-ci deviendra une tutelle et pourra être adaptée aux capacités de la personne inapte. Le tuteur devra prendre en compte les volontés et les préférences de la personne inapte. Par exemple, si celle-ci est en mesure de faire son testament et de voter aux élections municipales et provinciales, elle pourra le faire. Plusieurs situations ciblées pourront être exécutées par la personne inapte, en fonction de sa condition et selon les choix qu’elle aura faits.
Le nouveau mandat de protection contiendra des bonifications qui permettront de mieux protéger la personne inapte et prévenir les abus. Le mandataire aura l’obligation de faire un inventaire des biens dès le début de son mandat. Il devra également rendre des comptes régulièrement à un tiers, ce qui n’était pas le cas auparavant, pour éviter les cas de malversation financière.
La troisième mesure observée est la représentation temporaire. Elle permettra à quelqu’un d’accomplir un acte déterminé au nom d’une personne sans limiter les droits de celle-ci. Me Marsolais donne l’exemple de quelqu’un qui n’est pas déclaré inapte mais qui ne sait pas comment faire face à une situation donnée comme, par exemple, renoncer à un legs déficitaire. Une fois l’acte terminé, la représentation prendra fin et le représentant temporaire devra en aviser par écrit la personne représentée et le Curateur public.
Comment faire désigner un assistant au majeur?
Il y aura deux façons de le faire. Il sera possible de procéder en utilisant directement le portail du Curateur public, après avoir complété le formulaire et en suivant les directives. La seconde manière consistera à confier le mandat de faire une demande d’assistance à son avocat ou son notaire.
Que l’on utilise le site du Curateur public ou qu’on confie le mandat à un notaire ou à un avocat, la démarche est la même et comprend plusieurs étapes. Il faut tout d’abord remplir le formulaire, notifier aux deux plus proches parents qu’il y a une demande d’assistance et leur donner 30 jours pour se manifester s’ils ont des objections sérieuses. Pendant le délai de 30 jours, on procède à une entrevue avec la personne souhaitant obtenir de l’assistance, puis à une autre avec la personne assistée et l’assistant ensemble. Menées suivant un canevas prédéterminé, ces entrevues ont pour but de s’assurer que la personne assistée comprend bien la portée de sa demande et que le choix de son assistant est délibéré. Le Curateur public procède enfin à une vérification des antécédents judiciaires de l’assistant auprès de la Sûreté du Québec. Le Curateur public aura, par la suite, la discrétion d’accepter ou non la candidature de l’assistant.
Le mandat de l’assistant devra être renouvelé à tous les trois ans parce qu’on souhaite que la personne assistée se questionne périodiquement sur le mandat qu’elle veut confier à son assistant.
Lorsque la démarche sera effectuée sur le site du Curateur public, celle-ci sera gratuite. Évidemment, lorsqu’on optera pour demander à son avocat ou à son notaire de procéder à la demande d’assistance, il faudra envisager des frais. La démarche sera complétée en deux mois.
Le rôle du Barreau du Québec
D’après Me Ana Victoria Aguerre, avocate responsable du dossier au Barreau du Québec, cette nouvelle loi colle parfaitement aux objectifs de la mission de protection du public du Barreau et représente un énorme progrès. « Il s’agit de garantir un accompagnement des personnes qui sont considérées comme vulnérables, avant même qu’elles soient considérées comme inaptes. Au cœur de la réflexion du Barreau, nous avons le souci de mettre l’accent sur la personne. »
Le rôle des avocats sera de soutenir leurs clients, de les accompagner dans leur démarche. « On a eu la confiance du Curateur public dès le début du processus pour déterminer ce qui est dans le meilleur intérêt de la personne. Nous allons pouvoir former nos membres pour qu’ils puissent devenir accréditeurs des assistants aux majeurs », indique Me Aguerre. Les pouvoirs qui habiliteront le Barreau du Québec à accréditer ses membres entreront en vigueur avant juin 2022, ce afin que les avocats soient en mesure de mener des demandes d’assistance dès que le règlement sera effectif.
Les avocats suivront la même procédure que le Curateur public : ils aideront leur client à remplir le formulaire, notifieront les deux plus proches parents, feront les entrevues avec le même canevas pour ensuite dresser un procès-verbal qu’ils enverront au Curateur public. Le Curateur se réservera, ici aussi, l’autorité de refuser ou d’accepter la demande d’assistance. Les formations des avocats seront offertes dès le début de 2022 et prendront la forme d’ateliers d’une durée de six heures.
En conclusion, Me Aguerre souligne que la loi se bonifiera certainement au fil des ans. La définition de « personne en situation de vulnérabilité » est très large et permettra assurément d’inclure d’autres clientèles vulnérables. On peut penser ici aux nouveaux arrivants ou aux personnes vivant avec un problème de toxicomanie.