Articles mercredi 2 février 2022
ASFC, vecteur de changement depuis vingt ans
Avocats sans frontières Canada (ASFC) fête ses 20 ans
Par Marie-Hélène Paradis
Avocats sans frontières Canada souligne vingt ans à défendre les droits humains et les personnes en situation de vulnérabilité en renforçant l’accès à la justice et à la représentation juridique, vingt ans à faire de la solidarité internationale un leitmotiv, vingt ans à partager l’expertise et le savoir-faire des juristes du Canada.
Avocats sans frontières Canada est née en 2002 de la rencontre d’une avocate, Me Dominique-Anne Roy, avec les représentants d'Avocats sans frontières France. Le coup de foudre professionnel avec l’organisation est tel qu’en rentrant au Québec, Dominique-Anne Roy convainc ses collègues Pierre Brun et Pascal Paradis de faire le saut et de fonder la version québécoise d’ASF. Utiliser le droit comme outil de changement en se donnant comme objectif de soutenir leurs collègues pratiquant dans des conditions difficiles ailleurs dans le monde : voilà ce qui alimente, dès le départ, la flamme de ces trois avocats fondateurs.
Continuant chacun de travailler dans leurs cabinets respectifs, les trois forment la petite équipe de la première heure qui, bientôt, mène les premières missions d’ASF Canada. « C’est le départ vers la Colombie pour moi, vers le Nigéria pour Me Brun et vers l’Afghanistan pour Me Roy, relate Me Pascal Paradis, directeur général de l'organisation depuis 2005. Les situations difficiles que vivent les Afghans sont déjà présentes à cette époque et représentent un danger pour toutes les femmes. Dans les années 2000 en Colombie, c’est l’époque des FARC, la violence est partout. Le Nigéria est le dossier qui nous a mis sur la carte. L’affaire de la jeune Amina Lawal, condamnée à mort par lapidation par un tribunal islamique parce qu’elle avait eu un enfant hors des liens du mariage, a eu un retentissement international. ASFC a apporté son soutien à l’avocate qui défendait la jeune femme pour faire renverser la condamnation. L’avocate locale a obtenu gain de cause avec l’aide active de la toute petite organisation que nous étions » rappelle-t-il.
Une des clés du succès : le bénévolat
Par la suite, plusieurs personnes se sont jointes à ASFC, ce qui en a fait, au milieu des années 2000, une organisation entièrement bénévole. De petites collectes de fonds en petites collectes de fonds, ASFC réussit à faire des succès de ses missions. « En 2008, nous étions trois employés à temps plein. J’avais quitté mon cabinet en 2004. Dans mes dossiers, je côtoyais régulièrement la pauvreté et je me demandais s’il n’y avait pas quelque chose de plus significatif que je pouvais faire pour aider, et j’avais donc fait le saut. À cette époque, les projets prenaient déjà beaucoup de place dans nos vies et, au lieu de partir en vacances, on partait en mission », raconte Me Paradis.
ASFC est née, a grandi et vit aujourd’hui grâce au bénévolat. Celui-ci est la base d’une solidarité qui a tissé, construit l’organisation telle qu’elle est. ASFC fonctionne aussi avec des coopérants volontaires d’un peu partout à travers le monde. Les mandats s’échelonnent sur une durée allant de 3 semaines à 3 ans. Les volontaires ne sont pas rémunérés, mais leurs dépenses sont assumées par l’organisation. La préparation est un élément déterminant pour la réussite de leur travail. Évidemment, les avocats sont nombreux parmi les bénévoles, mais on retrouve également des comptables, des spécialistes des communications, des administrateurs et d’autres professionnels nécessaires à la bonne marche des projets.
« ASF Canada compte aujourd’hui 140 employés à temps complet dans sept pays et à travers une centaine d’organismes partenaires qui viennent en aide à des milliers de personnes dont la vie a souvent radicalement changé grâce à nos actions. Notre équipe de professionnels salariés est composée, dans une proportion d’environ 45 %, de juristes provenant des pays dans lesquels nous travaillons », explique Pascal Paradis.
« Notre façon d’opérer et d’obtenir des mandats de coopération a évolué depuis 20 ans. Ce qu’on gère maintenant, ce sont des programmes avec des financements spécifiques. On répond à des appels de propositions qui souvent demandent un travail de développement pour répondre aux besoins des bénéficiaires et des partenaires : préparer des documents, faire les recherches et répondre aux attentes des bailleurs de fonds. C’est un travail de préparation qui nous a permis, par exemple, de mettre en place un projet Justice et paix au Mali pour aider le retour à la paix et faire en sorte que les femmes participent au processus. »
Selon Pascal Paradis, ASF Canada est l’une des composantes les plus actives du mouvement international ASF, avec ASF Belgique et ASF France. ASF n’est pas une fédération; chaque division est un groupe indépendant qui gère ses projets. Un lien historique et philosophique existe bel et bien, par contre, entre tous ces acteurs.
La coopération internationale comme moyen de lutte
Chez ASFC, le style de coopération qui fonctionne est celui qui vient en appui aux travailleurs locaux et qui met en commun les méthodes, les outils, et les meilleures pratiques pour que les droits humains et l’accès à la justice deviennent une réalité. « Travailler conjointement avec des partenaires locaux, c’est aussi, parfois, faire en sorte que des Péruviens, des Guatémaltèques, des Rwandais et des Maliens travaillent ensemble. Chacun possède une expérience pertinente qui, partagée, devient une force. »
Les dossiers sur lesquels travaille ASFC sont nombreux et diversifiés. On parle de litige stratégique de droits humains, comme l’appui à des groupes de victimes ou à des avocats qui sont dans de grands dossiers de droits humains, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de torture. « En soutenant ces dossiers, on veut amener du changement social, provoquer des débats. On soutient le processus de justice transitionnelle, on soutient les mécanismes spéciaux pour passer d’une situation de commotion à la stabilisation, on encourage la participation des victimes et des femmes, toujours pour une paix durable et le développement qu’elle apporte aux citoyens », explique Me Paradis.
Des exemples qui parlent d’eux-mêmes
Plusieurs succès font foi de la nécessité d’un tel organisme sur le terrain et prouvent que les méthodes de travail de ASFC sont efficaces.
Ainsi, après le coup d’État au Honduras, ASFC a amené à la Cour interaméricaine le premier dossier de transféminicide. C’était la première fois dans l’histoire qu’un tribunal condamnait un pays pour la mort d’une personne parce qu’elle était trans. « Cela crée de la jurisprudence, des exemples et des modèles. C’est ce que nous cherchons à faire pour réussir à changer les choses », résume Me Paradis.
Le Mali a adopté sa loi sur la réparation pour les victimes du conflit armé sur la base du travail mené par les associations de victimes soutenues par Avocats sans frontières et par la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) du Mali. L’État est obligé de prendre en compte les souffrances des populations locales pour déterminer ses politiques de sortie du conflit. La principale organisation qui a soutenu ce processus est ASFC. Les témoignages de milliers de victimes ont ainsi été considérés par l’État pour déterminer ses politiques de réparation et pour mettre le pays sur la voie de la reconstruction.
ASFC forme des avocats depuis une quinzaine d’années dans plusieurs pays afin de constituer des collectifs d’avocats qui se spécialisent dans les problèmes d’accès à la justice. En Amérique latine par exemple, les jeunes autochtones qui ont été formés par ASFC représentent maintenant leur communauté.
On pense aussi à la cause très médiatisée du dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier. Dans un jugement sans précédent en Haïti, la Cour d’appel de Port-au-Prince a reconnu pour la première fois que la notion de crime contre l’humanité fait partie du droit haïtien et qu’il n’y a pas de prescription. Elle a de plus confirmé les indices sérieux de la participation de Jean-Claude Duvalier à des crimes contre l’humanité.
« Après le succès remporté dans le dossier de Amina Lawal, notre plus grande victoire réside dans le fait que les états du nord du Nigéria ont abandonné les dossiers de châtiments corporels ou de mise à mort en vertu de la charia. Nous sommes extrêmement fiers d’avoir aidé à changer les choses », a conclu le directeur général.
Le principe de complémentarité
Le principe de complémentarité basé sur un partage des compétences permet de travailler d’un pays à l’autre et de fonctionner en dépit des régimes de droit différents. Par exemple, le partage de méthodes de travail sur la manière de monter un procès et sur les meilleures pratiques et l’intégration dans le droit national du droit international ou des traités de droits humains font en sorte qu'ASFC et ses partenaires locaux travaillent sur la base de standards internationaux. « Ce sont les acteurs nationaux qui font le travail selon les lois en vigueur dans leur pays, et nous sommes là en soutien. Notre théorie du changement repose sur le fait que ce sont les avocats du pays qui soutiennent les personnes en situation de vulnérabilité et qui utilisent les lois de leurs pays devant leurs tribunaux. Selon nous, c’est la stratégie qui peut apporter le plus de changements », souligne Pascal Paradis.
Les effets de la pandémie
La pandémie a durement frappé ASFC qui doit être présente sur le terrain pour accompagner les acteurs locaux. Heureusement, sa capacité à gérer des crises, une aptitude requise par la nature même de son travail, a grandement aidé ASFC à continuer de faire avancer des dossiers malgré les contraintes imposées par la COVID-19. L’organisation est habituée à travailler dans l’urgence, par exemple après un tremblement de terre, des tornades, des coups d’État, des prises d’otages ou des attentats terroristes. « Depuis 20 ans, on a dû faire face à plusieurs situations complexes. On doit avoir une gestion des risques professionnalisée. Appliquer notre plan de gestion de crise nous a aidé à faire face aux priorités immédiates et à ramener nos trente coopérants chez eux dans leurs pays respectifs. On a aussi revu nos programmes et on s’est adapté. Je reviens sur le principe de complémentarité qui nous a aidé à passer à travers, car l’essentiel du travail est fait par nos partenaires locaux qui ont pu continuer parce qu’ils avaient les outils et les budgets pour y arriver », relate Me Paradis.
L’avenir
Pendant ce temps, ASFC a préparé un plan d’action avec des objectifs raisonnables, quoique ambitieux, et des nouvelles propositions pour l’avenir. « La croissance sera encore au rendez-vous car malheureusement, dans notre domaine, les besoins ne diminuent pas. De l’injustice il y en a encore, même s’il y a des choses qui changent et qui progressent. »
Aux tous débuts d'ASFC, les domaines d’intervention étaient surtout la protection des avocats, l’accompagnement des communautés autochtones, et les droits civils et politiques purs et durs : le droit à la liberté, le droit à la vie, la liberté d’opinion. L’organisme aborde aujourd’hui des thématiques de plus en plus variées comme, par exemple, la lutte à la traite de personnes par les groupes organisés ainsi que le droit des personnes à la diversité sexuelle et de genre.
« On peut encore faire brûler la flamme de la justice qu’il y en chacun de nous, affirme Pascal Paradis en conclusion. Je vous confirme qu’il est possible de vivre, à travers la solidarité internationale, un grand partage et une immense richesse et que l’on reçoit beaucoup à travers ces projets. Ce qui se passe ailleurs, ça nous concerne et on a beaucoup à partager au Québec. »