Articles mardi 12 juillet 2022
Quand médecine et travail psychosocial s’unissent au droit
Un nouveau modèle de droit intégré pour les droits des enfants
Par Marie-Hélène Paradis
En 2019, la mort d’une fillette de 7 ans à Granby a ébranlé tout le Québec et soulevé de graves inquiétudes sur la façon dont notre société protège les enfants et soutient les familles en difficulté. Ce drame psychosocial a donné lieu à la mise sur pied de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, dirigée par madame Régine Laurent. Lorsqu’elle a livré son rapport, la Commission Laurent a mis en lumière le rôle des différents intervenants en matière de protection de la jeunesse. Comment s’intègre le rôle des avocats?
Un rôle qui évolue
Traditionnellement, les avocats ont comme mandat de représenter leurs clients afin de défendre leurs intérêts dans des affaires diverses. Ce mandat mène souvent à un procès ou encore à des négociations avec les représentants de la partie adverse. La plupart du temps et pour le commun des mortels, le droit est associé à « problème » et à « stress ». Il est difficile de faire face à ce type de situation même quand on est suffisamment outillé; imaginons ce que peuvent vivre des familles et des enfants avec des besoins complexes! On peut sans peine déduire que la démarche consistant mobiliser les services d’un avocat génère une montagne de stress pour une famille en situation de vulnérabilité.
Plusieurs avenues s’offrent aux avocats qui souhaitent œuvrer en droit des enfants et de la famille. La Fondation du Dr Julien, pour sa part, préconise un modèle d’intégration disciplinaire et recrute de plus en plus d’avocates formées à la pratique du droit intégré à la pédiatrie sociale en communauté et en médiation.
Cette nouvelle pratique du droit, initiée par Me Hélène (Sioui) Trudel en 2006, a pour objectif de faire entendre la voix de l’enfant, avec et pour l’enfant et sa famille, afin que ceux-ci participent au processus décisionnel qui les concerne. Appelées à jouer plusieurs rôles, les avocates médiatrices en droit intégré collaborent étroitement avec les médecins, les infirmières, et les autres intervenants du Centre de pédiatrie sociale en communauté pour veiller au respect de l’ensemble des droits énoncés dans le droit interne et dans la Convention relative aux droits de l’enfant.
Faire autrement
Prenons l’exemple d’une famille dont le logement est plein de souris ou de coquerelles. Les enfants ont peur et ne dorment pas bien, les parents sont anxieux, leurs enfants ne performent pas à l’école. L’école, inquiète, prévient le bureau du Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) et la machine se met en marche. Les intervenants sont souvent appelés, par leur mandat et la structure de leur établissement, à circonscrire leurs actions à un domaine bien précis. Quant aux familles et aux enfants, ils n’arrivent pas, bien souvent, à comprendre ce qui se passe. Chaque intervenant voit le problème avec ses lunettes professionnelles : l’école pense école, le tribunal du logement pense logement, etc. L’intérêt supérieur de l’enfant ne passe pas nécessairement par le respect de l’ensemble de ses droits.
Malheureusement, la famille est alors étiquetée comme dysfonctionnelle ou « à problèmes ». Il est évident pour le Barreau du Québec qu’il faut mettre l’enfant au cœur des réflexions. Mais comment peut-on arriver à impliquer tous les intervenants pour trouver des solutions à une problématique qui touche l’enfant directement et, comme le préconise le rapport de la Commission Laurent, « faire du bien-être de nos enfants un projet de société »?
Soigner, outiller et accompagner les enfants les plus vulnérables
La pédiatrie sociale en communauté prône le fait que les enfants doivent être intégrés dès le début dans le processus d’évaluation et de recherche de solutions. Selon Me (Sioui) Trudel, cofondatrice de la Fondation Dr Julien et récipiendaire du Prix de la Justice 2013, on sous-estime trop souvent la capacité des enfants à comprendre, à prendre des décisions et à savoir ce qui est bon pour eux dès leur plus jeune âge. Pour les protéger, notre réflexe est de les écarter. « En outillant les enfants pour qu’ils puissent participer au processus décisionnel qui les concerne, on permet à ceux-ci de prendre connaissance de leurs droits et de leurs responsabilités, et, en retour, ceux-ci aident les adultes à trouver des solutions auxquelles ils n’auraient jamais pensé. En fin de compte, les enfants sont surpris de leur pouvoir, de leur capacité d’améliorer leur sort ». Me (Sioui) Trudel souligne l’étude de Tonino Esposito, de l’Université McGill, qui a identifié l’existence de poches de vulnérabilité dans lesquelles vivent des milliers d’enfants au Québec. « Cette étude a démontré que le Québec est troué de poches de vulnérabilité, même dans des endroits que l’on ne soupçonnait pas, et l’on ne parle même pas des communautés autochtones », affirme-t-elle. Il y a beaucoup de travail à faire pour bâtir une société juste et équitable.
Ça prend un village pour élever un enfant
Développée par le Dr Julien, la pédiatrie sociale en communauté est une approche de santé globale centrée sur l’enfant et ses besoins qui intègre la médecine et les sciences sociales. Depuis 2006, ce modèle de pratique médicale s’allie à la pratique du droit axé sur le respect de l’ensemble des droits énoncés dans la Convention relative aux droits de l’enfant, que le Québec s’est engagé à respecter en 1991. Me (Sioui) Trudel a résumé la Convention en sept grands principes afin de les faire connaître aux principaux intéressés et aux équipes qui œuvrent dans des centres de pédiatrie sociale en communauté, ainsi qu’à tous ceux et celles qui gravitent autour des enfants, dans l’espoir de favoriser un langage commun. « On constate que derrière les problèmes de santé et de comportement des enfants se cache une multitude de droits bafoués. Les situations que vivent les enfants sont à ce point complexes que les parents, les médecins ou les différents intervenants ne peuvent les résoudre seuls, dans le respect de l’ensemble des droits des enfants. En alliant le droit à la médecine et aux interventions psychosociales, on arrive à identifier et à réduire les sources de stress toxique découlant du non-respect des droits de l’enfant. Dans cette approche, la pédiatrie sociale est devenue un modèle transdisciplinaire et transsystémique au bénéfice des enfants les plus vulnérables », soutient Me (Sioui) Trudel.
Chaque professionnel a un rôle déterminant à jouer auprès de l’enfant et de sa famille. L’avocate en droit intégré est appelée à intervenir sur plusieurs plans avec son chapeau de médiatrice. « Mon travail est de faire en sorte que les enfants soient entendus et leurs droits respectés pour trouver des solutions concrètes aux problèmes légaux. Je m’assure que l’enfant comprenne bien ses droits et qu’il soit entendu. En tant qu’avocats, nous ne sommes pas formés en matière de développement de l’enfant et pourtant notre rôle est fondamental dans la vie de l’enfant que nous accompagnons. Nous connaissons le droit, mais souvent les enjeux que vivent les enfants dépassent largement la sphère juridique et notre compétence. C’est pourquoi le travail en transdisciplinarité est de première importance. En pédiatrie sociale, il y a une seule porte d’entrée pour l’accompagnement global des enfants et de leur famille. Nous collaborons avec ces derniers et leur réseau pour identifier les enjeux et mettre en place des plans d’action, ici et maintenant. Les enfants ont besoin de résultats maintenant et non pas dans quelques années », souligne Me Malika Saher, avocate médiatrice en droit intégré depuis bientôt cinq ans.
Le processus
Tous connaissent bien la mission du Dr Julien, mais que sait-on de la façon dont se déroulent les interventions et des intervenants qui sont appelés à collaborer avec le médecin? La philosophie de la pédiatrie sociale en communauté est de soigner, outiller et accompagner les enfants en état de grande vulnérabilité. Lors de sa première visite dans un centre, l’enfant est d’abord accueilli par la personne responsable de l’accueil. Le médecin vient vers lui afin de faire sa connaissance. Dès le début, c’est l’enfant qui présente les personnes qui l’accompagnent, prenant ainsi déjà la place qui lui revient. Tout se passe ensuite autour d’une table de salle à manger, ce qui ne manque pas d’étonner lorsqu’on se rappelle qu’il s’agit d’une clinique de pédiatrie sociale. On discute avec l’enfant et sa famille pour tisser un lien de confiance, pour s’apprivoiser avant de partager les histoires de vie, et pour ensuite en comprendre l’essence afin de construire une seule histoire. Dès lors, on peut explorer les actions ou même les décider ensemble, avec la participation de l’enfant, quel que soit son âge. Lors de cette première rencontre d’évaluation et d’orientation, l’enfant et la famille sont accompagnés par différents professionnels et partenaires, tels que l’école, les services sociaux, la DPJ, entre autres, pour élaborer un plan d’action concerté de manière personnalisée et cohérente. La présence de l’avocate médiatrice est essentielle pour apporter une perspective juridique.
Au cours des jours et des semaines qui suivent, qu’il y ait impasse ou non dans la recherche de solution, l’avocate médiatrice offre ses services dans le but d’aider l’enfant à se faire entendre et pour veiller à ce que l’ensemble de ses droits soient respectés. Elle utilise alors ses outils en négociation raisonnée et en médiation.
La plus grande médiation en pédiatrie sociale est le « cercle de l’enfant » créé en 2007 par Me (Sioui) Trudel et plusieurs partenaires, y compris des comités de droits des enfants. Cette médiation, préparée avec la participation de l’enfant, permet d’asseoir tout le monde avec lui et de construire un cercle protecteur, en considérant chacun des sept principes découlant de la Convention. Souvent, la communication entre tous les intervenants est peu fluide, voire inexistante, et la participation concrète de l’enfant et de sa famille fait défaut. « En participant au cercle, la connaissance des enjeux est partagée et comprise par tous. On arrive ainsi à trouver des solutions, toujours avec la participation de l’enfant et dans le respect de l’ensemble de ses droits. Pour nous, c’est la seule manière de respecter l’intérêt supérieur de l’enfant. Et souvent, c’est l’enfant qui nous amène les solutions », souligne Me (Sioui) Trudel. Elle nous donne un exemple d’enfant qui était exclu de l’école en raison d’un trouble du comportement. Celui-ci risquait d’échouer son année scolaire. Le cercle a permis de faire comprendre à l’école et aux participants que l’enfant n’arrivait pas à se faire entendre des adultes qui l’entouraient. Les adultes et l’enfant ont partagé des pistes de solutions qui ont permis de créer un cercle protecteur pour qu’il puisse enfin s’exprimer dans le respect de son identité et de tous ses droits.
Les objectifs des actions en pédiatrie sociale en communauté sont de soigner, d’accompagner et d’outiller les enfants pour la vie. C’est pourquoi les enfants participent à toutes les étapes. « On amène l’enfant à connaître ses droits. Si on ne demande pas leur avis aux enfants, si on ne les implique pas, on ne les rejoint pas, malgré toutes nos bonnes intentions, ça ne fonctionnera pas, on n’aura pas d’impact sur eux, et ce, peu importe l’âge, » affirme Me Saher. Toujours selon les deux avocates médiatrices, les enfants qui sont outillés et qui comprennent leurs droits sont en mesure, peu importe leur âge, de modifier leur parcours de vie et d’aider les autres en leur faisant comprendre la situation. « Ils sont capables d’être des agents de changement. Nous traitons les enfants comme des êtres humains à part entière et non comme des êtres en devenir », affirment-elles.
« Le droit intégré à la pédiatrie sociale en communauté amène des résultats très efficaces. C’est un droit vivant et novateur qui exige de contempler la pratique du droit avec une approche circulaire. Les enfants et leurs familles sont capables de faire vivre leurs droits. Ils apprennent à les faire respecter et à présenter leur argumentaire pour se défendre, que ce soit pour arriver à une entente de paiement, faire valoir les droits de l’enfant à l’éducation adaptée, démontrer à la DPJ ou au propriétaire qu’il existe d’autres modes de résolutions. L’essentiel c’est qu’en accompagnant les enfants, on leur apprend à argumenter et à réfléchir par rapport aux solutions possibles. Dès que les enfants connaissent leurs droits, c’est incroyable comment leurs solutions nous aident à faire respecter l’ensemble de leurs droits », souligne Me (Sioui) Trudel.
Me (Sioui) Trudel nous confie qu’elle aimerait que les enfants et les familles des 43 centres de pédiatrie sociale à travers le Québec aient tous accès au droit intégré offert par des avocats formés en médiation et des notaires de proximité pour contribuer au respect de l’ensemble des droits des enfants les plus vulnérables et de leur famille respective.