Dossiers mardi 2 août 2022
Aider les gens à retrouver leur dignité
Me Alain Arsenault, Ad. E.
Par Marie-Hélène Paradis
« Comme tous les petits garçons de l’époque, j’ai d’abord voulu devenir pilote d’avion mais, rapidement, j’ai eu un intérêt marqué pour la profession d’avocat », nous raconte Me Alain Arsenault, avocat associé au cabinet Arsenault, Dufresne, Wee, avocats.
Il a d’abord pratiqué en droit criminel pendant quelques années jusqu’à ce que les circonstances le mènent au droit civil. « J’ai commencé très tôt à m’occuper de dossiers en responsabilité civile contre les policiers. À l’époque, vers 1980, il n’y avait que très peu, pour ainsi dire jamais, de poursuites civiles contre les policiers. De fil en aiguille, j’ai fait plein de dossiers en responsabilité civile, ce qui a fait en sorte que ma carrière comme criminaliste a été de courte durée. »
La discrimination et le racisme : son cheval de bataille
Dans les années quatre-vingt, les questions de racisme et de profilage racial n’étaient pas d’actualité. On se souvient pourtant de deux ou trois événements concernant des chauffeurs de taxi d’origine haïtienne qui ont vécu du racisme. Me Arsenault était alors membre de la Ligue des droits et libertés quand celle-ci a interpellé la Commission des droits de la personne, laquelle a décidé de mener une commission d’enquête publique sur le racisme dans l’industrie du taxi. Me Arsenault représentait les associations de chauffeurs de taxi, un dossier qui l’a occupé pendant 3 ou 4 ans et qui a contribué à bâtir sa réputation. « Je sais que cette commission a entraîné, au sein de l’appareil gouvernemental, une prise de conscience importante. Plusieurs témoins n’avaient pas conscience que les gestes posés étaient racistes. C’est certain qu’il y a eu beaucoup de résistance, mais tout bien considéré, cela a ouvert les yeux de plusieurs personnes », affirme l’avocat.
Déterminant dans sa carrière, ce dossier a contribué à mettre la discrimination et le racisme au centre des préoccupations et de la pratique d’Alain Arsenault.
Les délais de prescription
Les délais de prescription en matière d’agression sexuelle sont une problématique différente, mais tout aussi importante pour Me Arsenault. Autour des années 2000, les délais de prescription en matière d’agression sexuelle deviennent un enjeu de taille. L’Église catholique a encore beaucoup d’emprise et les protagonistes se heurtent à sa puissance occulte. Me Arsenault s’active auprès des autorités publiques pour faire abolir le délai de prescription, mais obtient une fin de non-recevoir. Une bataille s’engage alors et les arguments pour le délai sont défaits, un à un. Certains avocats disent que c’est impossible et, de modification en modification pour une augmentation du temps, une commission parlementaire est mise sur pied où les principaux intéressés ne sont pas invités. Me Arsenault ne se laisse pas décourager. Il écrit finalement une longue lettre explicative aux députés membres de la Commission parlementaire pour leur expliquer un peu l’histoire. Les députés interprètent mal le contenu de la lettre et se lancent dans une surenchère, allant jusqu’à proposer un délai de 30 ans. Heureusement, en juin 2019, les délais de prescription sont abolis. Cela aura pris 99 ans pour y arriver…
Rendre leur dignité à des personnes
Après 40 ans de pratique, la plus grande source de fierté pour Me Arsenault, c’est d’avoir réussi à rendre leur dignité à des personnes. Donnant quelques exemples, il relate notamment le cas d’une jeune femme adoptée par sa tante et son oncle à la suite du décès de ses parents. « Lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois, elle était fortement affectée. Elle s’exprimait dans un langage d’enfant pour dire ce qu’elle vivait, et entretenait des relations dysfonctionnelles avec des hommes toxiques et des agresseurs. Je ne suis pas psychologue, mais je l’ai suivi dans sa démarche auprès de professionnels et je voyais son évolution. À la fin, elle n’avait plus de relations avec ses agresseurs et elle protégeait ses enfants; elle avait complètement changé. Pendant quelques années, elle m’appelait pour me dire que ça allait bien. C’est ça, la vraie récompense. »
Il cite aussi le témoignage du frère d’une victime dans un recours collectif qui avait écrit une lettre rendant compte de la ténacité et du respect que Me Arsenault avait eu envers les victimes. Il y affirmait que son frère était décédé en paix après avoir reçu une lettre d’excuse, en vertu du règlement de la cause, laquelle avait représenté pour lui un badge d’honneur et une preuve de plus qu’il avait été cru. Le frère de la victime a tenu à remercier Me Arsenault de l’avoir aidé à retrouver sa dignité.
Selon Me Arsenault, le fait de donner une voix aux victimes et de les croire leur ôte toute la chape de plomb qu’ils ou qu’elles ont accumulé durant des années. « Au début de la relation d’un client avec un avocat, celui-ci ne voit pas vraiment comment il s’en sortira. À la fin du processus, je demande toujours à mes clients comment ça va par rapport au moment de notre rencontre. Leur réponse est toujours : « Vous aviez raison ma situation s’est améliorée. »
Me Arsenault conclut en se disant fier de tout ce qu’il a fait, mais que la dignité retrouvée des gens demeure l’aspect le plus important de son travail. « Je n’ai rien fait d’extraordinaire, je n’ai fait que mon travail honnêtement. Comme me l’ont dit mes parents qui étaient presque illettrés, j’ai suivi mon cœur et ma conscience. »