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Dossiers mardi 22 février 2022

Avocats issus de la communauté noire : des progrès, mais encore du chemin à parcourir

Me Gassim Bangoura

Par Marie-Hélène Paradis

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Même si on note une légère hausse du nombre d’avocats noirs, ils sont encore trop peu nombreux dans la profession. Mais les choses pourraient changer d’ici quelques années. Bilan et état des lieux.

Selon les statistiques, 7,4 % des avocats étaient issus en 2017 de groupes ethnoculturels au Québec et ce, alors que ces communautés représentent une part de 13 % dans la population. On le voit, il existe donc un écart notable entre les deux. Plus encore, les avocats noirs sont seulement au nombre de 600 parmi les 28 000 inscrits au Tableau de l’Ordre, révèle le rapport annuel 2020-2021 du Barreau du Québec.

Me Gassim Bangoura

Bien sûr, il y a des progrès, mais ils sont encore très lents, note MGassim Bangoura, le président de la section québécoise de l’Association canadienne des avocats noirs. « Quand j’ai commencé ma pratique il y a 20 ans, il n’y avait encore que peu de jeunes avocats noirs à l’époque. Mais aujourd’hui, on note un changement marqué et ce, d’autant plus que les étudiants en droit issus de la communauté noire sont de plus en plus nombreux », assure-t-il.

Un manque flagrant de diversité du côté de la magistrature

Me Bangoura note que la proportion d’avocats racisés est en croissance ces dernières années et que les cohortes universitaires en comptent aussi un nombre grandissant. Cela suscite des espoirs pour l’avenir et envoie un signal fort aux communautés. « Cela a également un effet salutaire pour les groupes ethnoculturels, puisque le fait de pouvoir se faire représenter par un avocat issu de leur communauté améliore leur confiance envers le système de justice », constate-t-il.

Il souligne toutefois qu’il y a encore du chemin à parcourir, en particulier du côté de la magistrature où les juges noirs se comptent sur les doigts de la main. « Sur environ 500 à 550 juges au Québec, seulement trois ou quatre sont noirs et il n’y en a aucun à la Cour d’appel », déplore-t-il. D’ailleurs, les juges issus de groupes ethnoculturels sont encore très rares.

Le problème, analyse-t-il, réside dans le fait que le rôle du juge consiste notamment à effectuer une évaluation sensée de la preuve. Or, cette évaluation repose en partie sur l’expérience vécue. Si celle-ci est monochrome et manque de diversité, cela risque de teinter sa perception et éventuellement de déboucher sur des malentendus et des erreurs lors de l’évaluation de la preuve. « Le juge Daniel Dortélus prend sa retraite cette année. J’espère que le gouvernement du Québec saisira cette occasion pour nommer un magistrat issu de la communauté noire », ajoute MGassim Bangoura.

Le juge Dortélus a d’ailleurs fait plusieurs appels à la mobilisation et à une meilleure représentativité qui sont malheureusement restés lettre morte. « Cela commence à changer, mais le problème de fond est que ceux qui font les nominations à la magistrature n’ont pas placé leurs valeurs sur la diversité. Il faudrait un vrai changement des mentalités pour que les choses bougent réellement », constate MBangoura.

Il remarque aussi l’existence de problèmes systémiques, notamment le fait que les avocats noirs pratiquent souvent en solo et qu’ils affichent un faible accès au statut d’associé dans les grands bureaux, à quelques rarissimes exceptions près.

Des réussites à souligner

S’il y a de nombreux défis à relever, MBangoura tient toutefois à souligner les progrès accomplis et les succès. « Il y a de plus en plus de modèles issus de la diversité dans la communauté juridique. Mentionnons, par exemple, que quatre juristes noirs ont reçu la distinction Avocat émérite (incluant MPatricia Fourcand, Ad. E. en 2021) et que MExtra Junior Laguerre est devenu le premier bâtonnier noir du Barreau de Montréal », fait-il valoir. Il ajoute que la nomination de MStéphanie Raymond-Bougie au conseil d’administration de la SAQ est un autre signal que la société québécoise commence à voir la valeur des avocats noirs et issus de la diversité, tant dans les cabinets qu’au sein de la communauté d’affaires et des sociétés d’État.

Me Bangoura se montre d’ailleurs relativement optimiste pour l’avenir, même si avant de crier victoire, il souhaite préalablement voir de quelle façon les cohortes actuelles d’étudiants en droit issus de groupes ethnoculturels tireront leur épingle du jeu une fois sur le marché du travail. Une des questions est de savoir si, à terme, ils pourront accéder en plus grand nombre au statut d’associé ou à la magistrature.

Pour sa part, il travaille à sensibiliser les jeunes générations à la carrière d’avocat et à les inciter à s’inscrire en droit. C’est de cette façon que l’on pourra, un jour, parvenir à grossir les rangs de la profession avec de plus en plus de juristes noirs. « Tout le monde a un rôle à jouer et peut contribuer au changement. À cet égard, notre association apprécie grandement le soutien du Barreau du Québec, en particulier celui de la bâtonnière, MCatherine Claveau, qui a démontré un intérêt authentique pour la cause », conclut MBangoura.

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