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Dossiers mardi 1 juin 2021

Les audiences virtuelles - Une expérience positive avec quelques bémols

Par Emmanuelle Gril

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En quelques semaines, les audiences virtuelles sont entrées dans lesmœurs. Alors qu’elles faisaient figure d’exceptions – voire de science-fiction! – elles font aujourd’hui partie du quotidien de nombreux avocats.
S’ils sont unanimes à reconnaître que cette façon de faire comporte plusieurs avantages, ils ne manquent pas d’en souligner certaines faiblesses. Témoignages.

Une audience, quatre sites, deux bémols

Dès les débuts de la pandémie, l’avocat criminaliste Michel Lebrun a participé à une audience virtuelle dans le cadre de l’enquête préliminaire de son client, le propriétaire du Zoo de Saint-Édouard, accusé de cruauté et négligence envers les animaux. Le prévenu, âgé de 70 ans, y a assisté de son domicile, le juge et la greffière se trouvaient dans une salle d’audience au palais de justice de Trois-Rivières, les procureurs et leurs témoins à celui de Saint-Jérôme, et les avocats de la défense dans leur bureau de Trois-Rivières.

Me Lebrun, qui est aussi président de l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense du Québec, souligne que le processus s’est bien déroulé et que tous les intervenants se sont adaptés rapidement.

Cependant, il note deux bémols : un certain manque de fluidité pour la production de documents et l’échange de pièces, ainsi que la distance qui ne permet pas d’apprécier la crédibilité des témoins à sa pleine valeur.

« Cela dit, je vois d’un bon œil ce nouvel outil, même si je ne suis pas prêt à renoncer aux audiences en personne, fait remarquer MLebrun. D’ailleurs, la visioconférence était déjà utilisée pour la comparution de détenus en régions éloignées. Il y aura probablement de grands défis, par exemple pour les procès devant jury. »

Absence de la dimension humaine

Pour sa part, MTommie Anne Côté, avocate au sein du bureau Clyde and Co, a eu à plaider une demande d’injonction par visioconférence. « Nous étions une vingtaine de personnes en ligne : le personnel de la cour, les quatre procureurs et les clients. Après quelques ajustements, car nous avions des systèmes de vidéo différents, l’expérience s’est avérée concluante », dit-elle.

Elle note néanmoins que les audiences à distance ne peuvent totalement reproduire l’expérience en personne. « En litige, on prépare la cause avant de se présenter en cour, mais une fois sur place, on s’adapte en fonction de la '' température '' de la salle, de la réaction du juge et de celle des témoins. Avec des caméras on discerne mal les expressions faciales, il manque ce côté humain », déplore-t-elle.

Faut-il revoir les façons de faire?

Elle estime que cela demandera peut-être de revoir les façons de faire, notamment pour les longs procès avec interrogatoire de témoins, qui pourraient se révéler très laborieux devant un écran d’ordinateur.

Un avis que partage MAntoine Aylwin, associé chez Fasken, pour qui les audiences virtuelles de longue durée risquent de manquer la cible. Il apprécie toutefois le fait que l’on puisse afficher à l’écran les éléments de preuve, ce qui permet de porter immédiatement l’attention des intervenants sur un aspect particulier, au lieu de perdre du temps à fouiller dans des documents imprimés.

À propos de la crédibilité des témoins

À l’instar de ses confrères et consœurs, il se montre prudent sur la question de la crédibilité des témoins, et ce tant pour les plaideurs que pour les juges. « Ce n’est peut-être pas objectif, mais lorsqu’on peut voir un individu en personne, on a souvent l’impression qu’on peut mieux le jauger. C’est encore une inconnue qu’il va falloir apprendre à gérer », dit-il.

Me Vincent de l’Étoile, associé chez Langlois, renchérit : « Dans l’ensemble, passée une petite période d’adaptation, la qualité des représentations demeure la même. Mais l’un des rôles fondamentaux du juge est d’évaluer la crédibilité et l’intégrité du témoin, et à ce point de vue, la vidéoconférence n’est peut-être pas le moyen idéal pour y parvenir. Il y a aussi certaines craintes du fait que le témoin n’est pas dans une salle d’audience, mais chez lui. Comment s’assurer qu’il n’a pas accès à des documents ou qu’on lui souffle les réponses? »

Efficacité et accessibilité accrues

Me de l’Étoile énumère cependant plusieurs avantages liés aux audiences virtuelles, car elles permettent de maximiser le temps de tous.

« Par exemple, au lieu d’attendre de longues heures au palais de justice avant d’être entendu par le juge, on peut fixer un rendez-vous et procéder par visioconférence. Pour les démarches de courte durée, c’est très pratique. On peut aussi réunir facilement des personnes résidant dans des régions différentes. Ainsi, l’appareil judiciaire est plus efficace et accessible pour les justiciables. À terme, cet outil sera avantageusement complété par un système de dépôt électronique des documents numériques », assure-t-il.

Me Tommie Anne Côté souligne elle aussi les bons côtés des visioconférences qui évitent les délais, les déplacements et au bout du compte, réduisent les frais pour les clients.

Me Guy C. Dion, associé chez Fasken, va plus loin. Ce dernier a participé à une dizaine de journées d’audition à l’aide de l’application Zoom, dans le cadre d’arbitrage de griefs. « Notre cabinet représente TELUS, et les audiences se font généralement à Rimouski où se situe son siège social québécois, fait-il remarquer. Les longs déplacements engendrent des coûts, beaucoup de temps passé dans les transports et de fatigue pour les avocats. Mais si on peut réaliser ces audiences de façon virtuelle, dans ce cas les conditions changent radicalement, et il est même possible de récupérer certains dossiers qui autrement nous échappaient. »

À l’instar des autres avocats interviewés dans le cadre de ce reportage, MDion note que les « interrogatoires au corps » de témoins sont difficiles dans un contexte virtuel. « Les expressions du visage sont importantes, les silences, etc. Cette dimension échappe clairement aux audiences en ligne. Mais si le dossier ne repose pas là-dessus, j’estime que cela fonctionne très bien », fait-il valoir.

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