Dossiers mardi 1 juin 2021
La médiation familiale au temps de la pandémie
Par Emmanuelle Gril
Si la pandémie a mis les activités sur pause, elle n’en a pas fait autant pour les conflits entre conjoints, bien au contraire. Afin de répondre aux besoins accrus, la médiation familiale a dû s’adapter et entrer en mode solution.
Couples au bord de l’explosion
Pour les ménages où il existait déjà des tensions, la pandémie et surtout la période de confinement ont été la goutte qui a fait déborder le vase. Demeurer sous le même toit 24 heures sur 24, souvent avec des enfants à qui il a fallu faire l’école à la maison, a constitué un véritable détonateur. À la clé : des couples au bord de l’explosion.
Parallèlement, d’autres conjoints avaient déjà entamé un processus de médiation lorsque la crise a débuté. Dans ces conditions si particulières, il fallait continuer à offrir des services de médiation en faisant preuve de créativité et de flexibilité.
Recours aux technologies : des avantages…
Les technologies sont venues à la rescousse, avec leurs atouts, mais aussi leurs faiblesses.
La médiatrice et avocate Me Violaine Belzile a été témoin de toutes sortes de situations pendant le confinement, parfois des plus inhabituelles. « Certains de mes clients, parce qu’ils vivaient encore ensemble, s’isolaient chacun dans leur voiture pour les séances de médiation à distance pour que les enfants n’entendent pas les discussions », illustre-t-elle.
En dépit de certains défis, elle estime qu’au bout du compte, la médiation par visioconférence a donné de bons résultats. « Il y a des avantages, par exemple cela évite les déplacements, ce qui fait gagner du temps. De plus, dans certains dossiers très litigieux, le fait d’être à distance et non face à face aide à objectiver les rencontres. Les clients préfèrent être séparés, cela évite que la rencontre ne tourne au règlement de compte », indique Me Belzile.
… et des enjeux
Elle souligne toutefois l’existence d’un certain déficit au niveau de la communication : « Il faut faire attention à la façon de communiquer l’information, car cela peut devenir très statique. Pour ma part, j’envoyais systématiquement à mes clients un résumé de ce qui avait été dit durant la rencontre en ligne. J’ai constaté que les clients aimaient être encadrés par les écrits du médiateur, ça leur donne des points d’ancrage. »
Elle remarque aussi que malgré son côté pratique, la vidéoconférence donne un moins bon accès à la communication non verbale. L’avocat et médiateur Me Miville Tremblay est du même avis : « Les médiateurs sont souvent très relationnels, et quand on les place dans un contexte de visioconférence, ils vivent un certain malaise à cause du manque de contacts. La vidéo reste un compromis, car il est difficile de remplacer une bonne discussion en personne. Mais il faut apprendre à changer de paradigme et à penser en dehors de la boîte. »
Me Dominique Vien, avocate et médiatrice, note également qu’à distance, il est souvent plus ardu de calmer les tensions qui surviennent entre conjoints. Elle précise qu’il existe aussi des enjeux en matière de confidentialité : « Par exemple lorsque les parents partagent encore le même domicile et que les enfants sont présents, ou encore quand le logement n’est pas grand et qu’il est difficile de s’isoler chacun de son côté. »
Les médiateurs ont toutefois adapté leurs contrats afin que les parties respectent le principe de confidentialité et qu’elles s’engagent entre autres à ne pas enregistrer les séances.
Quand la technologie fait place à plus de flexibilité…
La grande flexibilité de la médiation à distance a fait des adeptes. Ainsi, afin d’accommoder les parents, l’avocate et médiatrice Me Suzanne Guillet a tenu beaucoup de séances de médiation le soir – lorsque les enfants dorment – et même la fin de semaine.
« J’ai aussi constaté que les parents étaient souvent plus à l’aise lorsqu’ils se trouvaient dans leur domicile plutôt que dans un bureau », lance-t-elle. Et lorsque la situation devenait trop conflictuelle, la médiatrice pouvait s’isoler électroniquement avec l’une des parties dans une salle virtuelle afin de calmer le jeu. Un bon compromis qui fait également en sorte que personne ne se sent exclu du processus
… et d’ouverture
Malgré les défis, Me Vien abonde dans le même sens et note que les médiations à distance qu’elle a menées se sont généralement conclues par des ententes. « Globalement, cette façon de faire est positive et viable même si elle demande une adaptation de part et d’autre », assure-t-elle.
Un avis que partage Me Guillet qui souligne que la pandémie a donné lieu à de beaux gestes de solidarité entre conjoints : « J’ai en tête le dossier d’une cliente qui a dû fermer son commerce durant le confinement, et dont l’ex-conjoint et père de ses enfants a décidé de l’aider à payer ses factures. Et celui d’une autre personne qui a fini par accepter un compromis financier alors qu’elle y était totalement opposée quelques mois plus tôt. La pandémie a remis bien des choses en perspective… »
Me Guillet a constaté que l’humanité et l’empathie revenaient au centre des discussions, laissant de côté blessures et conflits personnels. Elle se réjouit que dans ses nouveaux dossiers de médiation, après des échanges avec les deux parents sur les défis qui les attendent, ainsi que leurs enfants dans ce monde nouveau, ils semblent plus ouverts qu’auparavant à devenir une réelle équipe parentale.
L’importance d’aller de l’avant avec les technologies
Quant à Me Tremblay, il estime que la crise a permis d’avancer et de donner un vrai coup d’accélérateur à l’introduction des technologies dans le milieu juridique. « Nous sommes encore plongés dans la culture du papier, ce qui constitue une entrave. On n’a qu’à penser à tout ce qui entoure les signatures, les déclarations sous serment, etc. Cela reste un processus ardu alors que cela pourrait ne prendre que quelques minutes si on s’ouvrait davantage aux technologies. La pandémie nous donne l’occasion de changer notre système judiciaire, il faut saisir cette occasion et être créatif », affirme-t-il.